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📮 Facebook, quelques notes sur la suite

Les nouvelles se suivent et s’enchainent suite aux rĂ©vĂ©lations du Guardian, de l’Observer et de la chaĂźne Channel 4 News au sujet de Cambridge Analytica. Le sujet m’intĂ©resse donc je continue de suivre ça, je vais tenter d’en dĂ©tacher plusieurs courants.

Cet article est plutĂŽt Ă  lire comme un recueil de notes personnelles sur le sujet : je conseille la lecture de mon premier article pour le contexte (ou sa version courte pour un contexte plus rapide).

Ce texte a Ă©tĂ© mis Ă  jour :

Facebook et nous

La quantité de données récoltées par Facebook et Google est incroyable

Parmi les nouvelles rĂ©vĂ©lations sur l’étendue du problĂšme Facebook, il y a le fait que sur Android, l’app rĂ©cupĂšre Ă©normĂ©ment de donnĂ©es : les coups de tĂ©lĂ©phones passĂ©s, les contacts (mĂȘme ceux qui ont Ă©tĂ© supprimĂ©s), des SMS et des donnĂ©es annexes (date et heure, etc
) de l’activitĂ© du tĂ©lĂ©phone. Un journaliste de franceinfo, Vincent Matalon, tĂ©moigne : « AprĂšs une inspection plus poussĂ©e, je m’aperçois que les coordonnĂ©es des personnes que j’ai rencontrĂ©es ces deux derniĂšres annĂ©es manquent Ă  la liste. Tout s’Ă©claire : alors que j’avais synchronisĂ© les contacts de mon ancien tĂ©lĂ©phone avec l’application Facebook, j’avais pris soin de ne pas rĂ©activer cette option avec mon nouvel appareil. Â»

Et puis bon, Facebook ne proposait pas qu’à Cambridge Analytica, mais tout utilisateur qui crĂ©ait le moindre jeu Ă  la con pouvait rĂ©cupĂ©rer les donnĂ©es de ses utilisateurs et de ses amis, comme l’écrit le critique technologiste Ian Bogost.

Dans sa frĂ©nĂ©sie Ă  tout collecter, Facebook aurait eu accĂšs Ă  des emails, d’aprĂšs une lectrice du Guardian qui a eu la dĂ©sagrĂ©able surprise de voir des publicitĂ©s de pompes funĂšbres aprĂšs le dĂ©cĂšs de sa mĂšre, alors qu’elle n’en avait parlĂ© que par email.

Outre la mĂ©diocre gestion des donnĂ©es, l’entreprise n’a pas l’air d’avoir d’éthique, ne supprimant pas des comptes qui ont une bonne raison d’ĂȘtre fermĂ©s (par exemple des personnes dĂ©cĂ©dĂ©es). Il y a un problĂšme dans la façon dont Facebook envisage ses rapports avec les ĂȘtres humains.

Pour ce qui est de Google, lĂ  aussi on dĂ©couvre Ă©normĂ©ment de choses lorsqu’on tĂ©lĂ©charge et inspecte le contenu des donnĂ©es que Google sait de nous, comme le montre ce fil Twitter en 30 points et quelques.

#DeleteFacebook et le rejet populaire de Facebook

En fait, on savait depuis longtemps que Facebook est mauvais pour nous. En 2014, on dĂ©couvrait que Facebook faisait des expĂ©riences sur les Ă©motions de ses utilisateurs. Le rĂ©seau social avait comparĂ© l’évolution de l’émotion d’utilisateurs auxquels il Ă©tait montrĂ© des news et statuts positifs ou nĂ©gatifs—sans que les utilisateurs ne soient consentants—ni mĂȘme au courant de l’expĂ©rience.

Le meilleur moyen de gagner à ce jeu-là avec Facebook, c’est de ne pas jouer, nous explique Rene Ritchie, journaliste technologique, en nous conseillant de supprimer son compte.

You can’t trust the company — who knows who will own or run them, at the executive or government level, at any given time? — and you absolutely can’t trust every single employee that can gain access to your personal data that they’ve harvested and hoarded. We’ve seen those types of abuses with everything from the NSA to Uber.
The only thing you can trust is a company not having your data, encrypting it end-to-end so even the company itself can’t get access to your data, or deleting your data as fast as possible because its business model doesn’t depend on exploiting your data over time.
— Rene Ritchie, iMore

Parmi ceux qui ont supprimĂ© leur compte Facebook, on peut compter le cofondateur de WhatsApp (qui est devenu milliardaire quand le rĂ©seau social a rachetĂ© son app), et les entreprises SpaceX et Tesla—aprĂšs qu’un utilisateur de Twitter a fait remarquer Ă  Elon Musk qu’il y avait des pages Facebook pour ses compagnies.

N’ayant jamais tentĂ© de supprimer mon compte du rĂ©seau social, j’ai appris que c’était plus compliquĂ© que je ne le pensais. Facebook joue avec tes sentiments pour te faire rester : des photos de tes amis te sont prĂ©sentĂ©es, des questions te sont posĂ©es, des dialogues te sont affichĂ©s pour te demander de rester
 c’est de la manipulation pure et simple.

Pouvoir supprimer son compte, c’est un privilĂšge, comme le note Safiya Noble, citĂ©e par Arwa Mahdawi dans le Guardian. “Pour beaucoup de gens, Facebook est une porte d’entrĂ©e importante vers l’internet. C’est mĂȘme parfois la seule version de l’internet que certains connaissent, et ça a un rĂŽle central dans nos maniĂšres de communiquer, de rassembler des communautĂ©s et de participer Ă  la sociĂ©tĂ© en ligne.” Il n’y a pas d’équivalent direct Ă  Facebook qui nous rappelle les anniversaires, qui nous connecte Ă  nos proches qui sont loin, et qui hĂ©berge nos souvenirs communs des dix derniĂšres annĂ©es.

On peut toujours supprimer notre compte Facebook, mais ça n’empĂȘchera pas notre ciblage par Facebook et d’autres, aussi bien en ligne qu’hors ligne. Un tĂ©lĂ©phone mobile est un outil de ciblage.

Et Ă©videmment, mĂȘme si on ne supprime pas tout de suite son compte Facebook, on peut toujours se dĂ©placer vers les alternatives, comme Mastodon, qui vient de voir une vague de nouveaux arrivants.

Changer nos habitudes, notre façon de voir le net

Il y a des moyens de se rendre compte des donnĂ©es qu’on partage : Data Selfie est particuliĂšrement intĂ©ressant pour comprendre que chaque interaction avec le rĂ©seau social peut dire quelque chose sur nous. Mais Facebook n’est pas le seul coupable. MĂ©fions-nous des entreprises qui ont le mĂȘme business model et qui prĂ©tendent avoir une gestion plus Ă©thique de nos donnĂ©es.

D’ailleurs, nos donnĂ©es, il serait bon qu’on se rende compte vĂ©ritablement de leur valeur, et du fait qu’elles ne sont en aucun cas Ă©changeable contre quelque service que ce soit, il n’y a pas de comparaison entre ce qui est gĂ©nĂ©rĂ© sur notre dos et des services rendus (mĂȘme si j’avais une phrase qui aurait pu ĂȘtre comprise dans ce sens-lĂ  dans mon prĂ©cĂ©dent article). Il faut refuser de maniĂšre vĂ©hĂ©mente toute proposition de monnayer des services contre des donnĂ©es.

The real question is whether we are ready, collectively, to draw a line under surveillance capitalism itself, and start taking back a measure of control.
Scott Ludlam

Facebook nous donnait l’impression d’avoir changĂ© les rapports de sociĂ©tĂ©, d’avoir dĂ©centralisĂ© le pouvoir, et d’avoir des Ă©changes d’égal Ă  Ă©gal. Manque de bol, le scandale Cambridge Analytica fait voler cette conception en Ă©clats.

Il va falloir qu’on commence Ă  lire les conditions d’utilisation des apps qu’on utilise. Un projet comme TOS;DR est trĂšs intĂ©ressant pour ça : voilĂ  l’analyse des conditions de Facebook : https://tosdr.org/#facebook. Facebook n’est pas seul. Par exemple, 82% des apps sur Android envoient des donnĂ©es Ă  au moins un trackeur de publicitĂ©s. Ces donnĂ©es sont ensuite vendues sur des sites spĂ©cialisĂ©s pour ĂȘtre utilisĂ©s
 par qui ? pour quoi ? On ne sait jamais vraiment
 mais c’est un business qui se compte en milliards de dollars Ă  travers le monde.

Comme le fait remarquer le compte Twitter du projet Tor (dont le but est d’aider les internautes Ă  protĂ©ger leurs donnĂ©es personnelles), c’est qu’on ne devrait pas ĂȘtre exploitĂ©s lorsqu’on utilise Internet. Ça parait logique, mais on l’oublie un peu trop souvent.

Un lecteur de mon premier article m’a envoyĂ© un lien vers un article du journal Usbek & Rica, qui propose de rĂ©quisitionner les GAFAM afin d’en faire des biens communs. L’idĂ©e repose sur le projet de contrer l’immensitĂ© de l’empire Google et son absence de concurrence en redistribuant mieux les profits et en ayant une gouvernance plus dĂ©mocratique et Ă©thique. Dommage, l’article ne parle pas des donnĂ©es et de leur gestion, et prend Google ou Facebook comme des fournisseurs de services et non comme des aspirateurs Ă  donnĂ©es personnelles. L’idĂ©e d’une gouvernance par les communs est intĂ©ressante, mais on ne doit pas continuer Ă  centraliser et Ă  rĂ©colter des donnĂ©es, sous risque de voir le problĂšme actuel se renouveler encore et encore.

Les retombées

Deux choses sont claires. Chez Facebook ils sont au courant des problùmes depuis longtemps, et depuis longtemps ils s’en foutent.

Mise Ă  jour du 27 mars :

The Intercept dĂ©voile que l’ICE (force de police des douanes et de l’immigration) utilise des donnĂ©es de Facebook pour traquer les immigrants sans papiers. Cette force de police aux pratiques souvent dĂ©criĂ©es a tendance Ă  s’affranchir des lois pour remplir sa mission, l’annonce de la collaboration avec Facebook va empirer l’image du rĂ©seau social auprĂšs de la gauche amĂ©ricaine et des partisans de la lĂ©galisation des immigrants sans papiers. Suite Ă  une rĂ©tractation de The Intercept peu aprĂšs la publication de l’article, on apprend que l’ICE a utilisĂ© des donnĂ©es de Facebook pour traquer un suspect criminel.

La Federal Trade Commission, la Commission FĂ©dĂ©rale du Commerce, annonce l‘ouverture d’une enquĂȘte sur les pratiques de Facebook concernant la vie privĂ©e de ses utilisateurs. C’est ce genre d’enquĂȘte qui peut faire trĂšs mal au Surveillance Capitalism : elle aura lieu Ă  l’écard lobbies de la Silicon Valley, et pourrait dĂ©boucher sur des lois et des rĂ©glementations strictes de protection des utilisateurs.

Les premiĂšres actions en justice commence Ă  fleurir : dimanche, l’état de l’Illinois a portĂ© plainte contre Facebook, Cambridge Analytica et SCL Group dont CA est une filiale. L’accusation dĂ©crit Facebook comme la plus massive opĂ©ration d’exploration de donnĂ©es en existance  ironie du sort, le jour mĂȘme le rĂ©seau social admettait que des informations sur des appels et textos de certains utilisateurs avaient Ă©tĂ© enregistrĂ©es.

Face Ă  toutes ces annonces, l’action Facebook a encore perdu plusieurs pourcents de sa valeur de la semaine du 16 mars, avant les rĂ©vĂ©lations de Cambridge Analytica. On estime les pertes entre 8 % et 10 %.

Mise Ă  jour du 28 mars :

Christopher Wylie, par qui le scandale est arrivĂ©, a Ă©tĂ© entendu par le Parlement britannique. De ses rĂ©ponses on peut noter l’histoire rocambolesque d’empoisonnement au Kenya de son prĂ©dĂ©cesseur, avec en prime des pots-de-vin Ă  la police locale et tout un tas de dĂ©tails dignes de films d’espionnage
 mais ça n’est que des on-dits. En revanche, il a confirmĂ© le rapprochement de l’entreprise Palantir, spĂ©cialisĂ©e dans la surveillance et le traitement big data, et dirigĂ©e par Peter Thiel, un milliardaire proche de l’alt-right amĂ©ricaine et de Donald Trump, dont il a financĂ© la campagne. Palantir aurait aidĂ© Cambridge Analytica sur le traitement des donnĂ©es utilisĂ©es dans les stratĂ©gies de propagande de CA.

Suite Ă  l’invitation du Parlement britannique Ă  Mark Zuckerberg, celui-ci ne rĂ©pond qu’en envoyant deux Ă©missaires pour dĂ©fendre le rĂ©seau social. En revanche, le Zuck a rĂ©pondu positivement Ă  l’invitation du CongrĂšs amĂ©ricain
 lĂ  oĂč les enjeux ne sont pas aussi Ă©levĂ©s : beaucoup de lobbyistes Ă  Washington travaillent pour Facebook et la Silicon Valley (oĂč le Surveillance Capitalism est le principal business model), et un trĂšs grand nombre de politiciens ont eu des contributions de Facebook pour leurs campagnes Ă©lectorales.

La pression sur Facebook ne se relĂąche pas, de plus en plus de journaux publient des opinions et des Ă©ditoriaux appelant Ă  de nouvelles rĂ©gulations concernant nos donnĂ©es personnelles. Les amĂ©ricains se rendent compte des progrĂšs fait en la matiĂšre par l’Union EuropĂ©enne, et comprennent que ça n’est pas l’ingĂ©rence Russe qui nous fait tiquer, mais qu’on n’apprĂ©cie pas forcĂ©ment que nos donnĂ©es soient traitĂ©es et stockĂ©es en dehors de l’UE (surtout si ça enrichit des entreprises qui n’y paient que le minimum d’impĂŽts via des montages financiers douteux). D’ailleurs, un sondage publiĂ© par Axios montre bien que les utilisateurs de Facebook ont perdu confiance dans la plate-forme, et ce bien plus rapidement que dans les autres rĂ©seaux sociaux.

Pour aider les internautes, Mozilla a dĂ©veloppĂ© une extension pour Firefox, qui permet de limiter la rĂ©cupĂ©ration de nos donnĂ©es par Facebook. Toutes nos interactions avec le rĂ©seau social se font dans un conteneur spĂ©cifique, et les autres conteneurs bloquent les contenus et identifiants de Facebook. À ce sujet, il faut savoir que le financement de Mozilla dĂ©pend en grande partie de Google, sous condition que Google soit le moteur de recherche par dĂ©faut de Firefox. J’attends avec impatience le mĂȘme genre d’extension pour Google que pour Facebook, pour savoir si Mozilla veut rĂ©ellement amĂ©liorer les choses.

Comme si ça ne suffisait pas, des groupes de lutte pour l’accĂšs au logement aux États-Unis viennent de porter plainte contre Facebook : selon eux, et Ă  la suite d’une enquĂȘte de l’organisation ProPublica en 2017, le rĂ©seau social permettrait de discriminer dans les annonces. En effet, le ciblage mis en place par Facebook pour son systĂšme de petites annonces donne la possibilitĂ© Ă  un bailleur ou un propriĂ©taire d’en interdire l’accĂšs Ă  des groupes lĂ©galement protĂ©gĂ©s : mĂšres cĂ©libataires, personnes handicapĂ©es, hispanophones


La réaction de Facebook

lorsque des journalistes se sont prĂ©sentĂ©s avec des preuves, Facebook les a menacĂ©s et accusĂ©s de diffamation. C’est seulement une fois acculĂ©, au pied du mur, qu’il a daignĂ© prendre position et annoncĂ© qu’il suspendait Cambridge Analytica et consorts. C’est une approche trĂšs prĂ©occupante en termes de transparence et de gestion des donnĂ©es personnelles.
— Sylvia Revello, Le Temps

La dĂ©fense de Facebook reste sur la mĂȘme ligne : c’est pas nous, c’est un mĂ©chant chercheur qui n’a pas supprimĂ© les donnĂ©es qu’on lui a donnĂ©. Pas de remise en question de la quantitĂ© et du type de donnĂ©es transmises.

Un des prĂ©sentateurs de Channel 4 News, la chaĂźne de tĂ©lĂ© qui a dĂ©voilĂ© le scoop de Cambridge Analytica, a mĂȘme demandĂ© Ă  Mark Zuckerberg de lui accorder une interview. Mais le Zuck n’a rien rĂ©pondu.

Une des rĂ©actions marquantes du rĂ©seau social, ça a Ă©tĂ© de masquer toutes leurs pages qui se vantaient de l’action de Facebook pour la dĂ©mocratie et leur capacitĂ© Ă  influencer des Ă©lections.

D’ailleurs, Facebook a toujours eu cette dĂ©marche de l’autruche, concernant les fuites de nos donnĂ©es. AprĂšs tout, ça leur donnait une excuse au cas oĂč il y avait des problĂšmes lĂ©gaux : s’ils ne savent rien, on peut moins leur reprocher. Depuis des annĂ©es, les employĂ©s qui se posaient ces questions ont Ă©tĂ© Ă©vincĂ©s et forcĂ©s au silence, comme le raconte Sandy Parakilas au Guardian.

Au dĂ©but, en 2009, Mark Zuckerberg avait bien promis Ă  la BBC qu’ils ne vendaient pas leurs donnĂ©es Ă  des tiers.

Ce week-end, plusieurs journaux amĂ©ricains et anglais affichaient une publicitĂ© pleine page, oĂč Facebook, par la voix de Mark Zuckerberg, rĂ©pĂ©tait des excuses et des promesses de faire mieux.

En mĂȘme temps, Facebook est devant un dilemme : ou bien ils arrĂȘtent de compiler des donnĂ©es sur les gens et abandonnent leur business model, ou bien ils continuent, et ils perdent une telle quantitĂ© d’utilisateurs qu’ils ne sont plus pertinents.

Ou bien ils ferment le réseau social.

La voie législative

Facebook ne souhaite pas ĂȘtre limitĂ© lĂ©gislativement. Ils aimeraient bien pouvoir gĂ©rer leur systĂšme dans leur coin, ça leur permettrait de continuer Ă  rĂ©cupĂ©rer toutes nos donnĂ©es.

Mais sinon, comment faire des rĂšglements ?

Pourquoi pas, comme le propose la professeure de journalisme Emily Bell, tester toutes les rĂšgles qui nous viennent, et voir ce qui marche ?

Entre ce qu’on dĂ©sire et ce que Facebook peut se permettre, il y a un monde de diffĂ©rence : une loi est passĂ©e aux US, le CLOUD Act, Ă©laborĂ©e avec l’aide des lobbyistes de Facebook, qui va permettre Ă  tout gouvernement d’accĂ©der aux donnĂ©es personnelles hĂ©bergĂ©es sur le rĂ©seau social, sans avoir besoin d’un mandat. C’est l’une des pires nouvelles qui pouvait arriver, surtout dans les pays qui sont sous la botte d’un dictateur.

Il ne faudra pas oublier que le pouvoir appartient Ă  ceux qui ont le plus de lobbyistes. Pour protĂ©ger nos intĂ©rĂȘts et notre vie privĂ©e, il va falloir s’organiser et faire entendre notre voix.

Les retombées politiques

C’est maintenant prouvĂ©, Cambridge Analytica a utilisĂ© des donnĂ©es rĂ©cupĂ©rĂ©es auprĂšs de Facebook dans la campagne pro-Trump, ce qui a valu Ă  l’entreprise une perquisition de 7 heures. Mais les derniĂšres rĂ©vĂ©lations concernent plutĂŽt le Brexit : en effet, Cambridge Analytica, ainsi que d’autres entreprises, ont Ă©tĂ© financĂ©es par des proches de la campagne Leave pour tenter d’influencer le dĂ©bat. La campagne favorable au Brexit aurait fait des dĂ©penses illĂ©gales, d’aprĂšs un lanceur d’alerte qui aurait y travaillĂ©.

Reste à savoir si ces données ont été utiles dans les différentes campagnes, et quelle est la part de vantardise de la part de Cambridge Analytica.

Pour ce qui est de la campagne du Brexit, l’illĂ©galitĂ© dĂ©passe l’usage de Cambridge Analytica Ă©tant donnĂ© que ça concerne le financement de la campagne et la destruction de preuves.

Évidemment il y a beaucoup d’appels Ă  rĂ©guler Facebook, mais qui sait Ă  quoi ça va mener ?

Le double jeu hypocrite de la presse

Il est d’ailleurs assez amusant de voir de nombreux sites de presse s’alarmer de la fuite de donnĂ©es d’internautes, alors qu’ils sont eux-mĂȘmes un dispositif de rĂ©colte massive Ă  travers la publicitĂ© programmatique.
— David Legrand, NextImpact

La publicitĂ© programmatique, c’est simple : lorsque tu charges une page de journal en ligne, des scripts vont rĂ©cupĂ©rer des donnĂ©es sur toi (adresse IP, caractĂ©ristiques du navigateur), et les partager sur des plate-formes spĂ©cialisĂ©es, les data brokers, oĂč il sera fait une enchĂšre entre les diffĂ©rentes plate-formes de publicitĂ©s, pour savoir qui affichera une pub sur ton navigateur.

La plupart des journaux n’utilisent le journalisme que pour placer des publicitĂ©s devant les yeux de leurs lecteurs. En France, Mediapart, NextImpact ou Le Canard EnchaĂźnĂ© sont de trop rares exemples d’une presse qui ne dĂ©pend pas de la revente des donnĂ©es de leurs clients, et donc qui serait justifiĂ©e dans des critiques de Facebook, Google et du Surveillance Capitalism. (Mais Ă  l’heure oĂč j’écris ça, une visite Mediapart charge une dizaine de mouchards, une visite sur Next Impact n’en charge pas, et pour Le Canard EnchaĂźnĂ© il n’y a que mon marchand de journaux qui me connaĂźt, et encore, seulement de vue.)

Irony Alert: the same is true for the Times, along with every other publication that lives off adtech: tracking-based advertising. These pubs don’t just open the kimonos of their readers. They treat them as naked beings with necks bared to vampires ravenous for the blood of personal data, all ostensibly so those persons can be served with “interest-based” advertising.
— Doc Searls

Le conseil du designer Oliver Reichenstein, c’est que les journalistes, au lieu d’écrire des articles sur les mĂ©faits de Facebook, devraient demander Ă  leur rĂ©daction d’enlever le bouton de partage, le mouchard de tracking etc., ça convaincrait beaucoup mieux les lecteurs, et ça montrerait Ă  Facebook qu’on n’est plus dupes. AprĂšs tout, qu’est-ce qui retient les lecteurs de supprimer leurs comptes et abonnements Ă  des sites de presse qui refilent des mouchards Ă  n’en plus finir ?

D’ailleurs, sur ce carnet web il n’y a plus de bouton de partage, il n’y a qu’un script de statistiques hĂ©bergĂ© sur un server personnel, qui respecte les directives « do not track Â» et qui ne laisse pas de cookie : @joachimessque.

Vers quoi se dirige-t-on ?

L’idĂ©e, c’est que tout le monde puisse hĂ©berger ses contenus soi-mĂȘme. C’était la promesse initiale du Web.

DĂ©jĂ  prĂ©vu il y a dix ans, le Do Not Track est un moyen de dĂ©clarer Ă  un site web qu’on visite « ne nous piste pas ! Â» Ce rĂ©glage, longtemps cachĂ© dans les prĂ©fĂ©rences des navigateurs—surtout Chrome—a Ă©tĂ© enclenchĂ© par dĂ©faut chez Safari puis Firefox, et enfin Chrome. C’était un des moyens pensĂ©s pour limiter la fuite de donnĂ©es personnelles, mais il est trĂšs peu respectĂ© : certains sites comme Medium affichent une banniĂšre qui dit « Je sais que tu as DNT [Do Not Track] activĂ©, mais on va quand mĂȘme enregistrer des informations sur ton passage Â».

En tous cas, la solution technologique de base, qui consisterait Ă  restreindre la circulation des donnĂ©es de Facebook est une fausse bonne idĂ©e ; c’est une erreur de correction d’erreur que de ne pas penser aux causes du problĂšme, et juste Ă  vouloir corriger les consĂ©quences YouTube et Twitter sont aussi coupables de ce biais.

Dans une tribune de LibĂ©ration, le chercheur Olivier Ertzscheid analyse l’impact politique de l’existence mĂȘme de Facebook.

Croire que cette affaire sera un Ă©clair de luciditĂ© dans l’opinion et permettra une prise de conscience accrue des enjeux posĂ©s par une plateforme privĂ©e rassemblant deux milliards d’utilisateurs sur un modĂšle Ă©conomique de rĂ©gie publicitaire est une chose. Imaginer que cela impactera les comportements de ces mĂȘmes utilisateurs en est une autre.
— Olivier Ertzscheid, entretien dans LibĂ©ration

Le ver est dans la pomme, en somme : ce qui nous enchaĂźne Ă  Facebook, et Google, et tout ça, c’est la tyrannie de la commoditĂ©. Lorsque nous laissons la commoditĂ© dĂ©cider de tout, nous nous abandonnons trop, d’aprĂšs le juriste amĂ©ricain Tim Wu. Le format et les conventions de Facebook nous dĂ©pouillent de toutes les expressions d’individualitĂ©, Ă  l’exception des plus superficielles, comme la photo particuliĂšre d’une plage ou d’une chaĂźne de montagnes que nous choisissons comme image de fond. Au final, quels sont les problĂšmes que la technologie (via Facebook) rĂ©pond ; est-ce que ces problĂšmes n’ont pas Ă©tĂ© inventĂ©s par Facebook uniquement pour dĂ©ployer des solutions technologiques contre lesquelles les utilisateurs deviennent tous similaires et tous perdants ?

La juriste et philosophe belge Antoinette Rouvroy y remet une couche :

Le monde du web est opaque. En soi, recueillir des informations est dĂ©jĂ  une tromperie. C’est la prĂ©sence des tiers qui utilisent la plateforme pour proposer d’autres services qui pose problĂšme. Par exemple, vous rĂ©pondez Ă  un questionnaire “Ă  quel personnage de ‘la guerre des Ă©toiles’ ressemblez-vous?”, mais vous ignorez que ces donnĂ©es vont ensuite ĂȘtre utilisĂ©es. L’autre problĂšme, c’est qu’on a l’impression de participer Ă  une communautĂ© alors qu’en rĂ©alitĂ©, il n’y a pas d’échange. Tout le monde est seul devant son Ă©cran. Facebook n’est pas un espace public. On assiste Ă  une hypertrophie de la sphĂšre privĂ©e qui se caractĂ©rise paradoxalement par une dĂ©personnalisation. La prise de conscience collective ne peut pas se produire.
— Antoinette Rouvroy, entretien dans L’Écho

J’ajouterais mĂȘme que cette prise de conscience collective, qui doit se passer en partie avec nos contacts sur Facebook, n’est Ă©videmment pas souhaitĂ©e par Facebook—d’oĂč les modifications d’algorithmes pour pĂ©naliser les contenus trop critiques. Facebook n’est pas pensĂ© pour des humains, c’est seulement pensĂ© pour faire de nous beaucoup moins, pour tailler ce qui dĂ©passe et cultiver ceux qui restent (en leur donnant de quoi rĂ©agir) pour rĂ©colter des donnĂ©es (pour donner aux publicitaires de quoi placer encore plus de distraction).

Je ne sais pas trop oĂč on se dirige, mais je sais que dĂšs que j’aurai arrĂȘtĂ© Facebook et supprimĂ© mon compte, il y a des contacts qui vont m’oublier dĂ©finitivement parce que je ne serai plus dans leurs listes. Ceux-lĂ  me manqueront sans doute un peu. Heureusement il y aura les autres, avec qui je continuerai Ă  discuter via d’autres moyens, dĂ©centralisĂ©s et sĂ©curisĂ©s.


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