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🧵 Couture

J’écris ce billet pour documenter pour moi-même cet intérêt que j’ai eu pour la couture de fin février à début mai 2024. J’avais déjà cousu avant, et je n’abandonne pas la pratique, mais ces deux mois et demi ont été particulièrement frénétiques et je voudrais en garder une trace ici et des réflexions sur le sujet.

Avant

J’ai eu mes premiers rudiments en voyant ma mère coudre, puis une de mes sœurs. Je n’y ai pas touché en soi, mais j’ai pu voir les outils, les pratiques, les gestes et les concepts. Puis il y a cinq ou six ans, j’ai demandé à ma mère de me montrer comment utiliser une machine à coudre, c’est toujours utile. Suite à ça j’ai pu faire des coussins et taies d’oreillers, des ourlets de rideaux, et ce genre de choses. J’ai acheté un patron de gapette de cycliste, et j’en ai taillé plusieurs avec des tissus de récup (le denim stretch des jeans pour femme fonctionne plutôt bien). À cause de la place nécessaire pour la pratique de la couture, de la surface des appartements parisiens et des attentes concernant le désordre en colocation je n’ai pas touché à des projets qui me prendraient plus d’une demi-journée—en comptant le temps d’installation et de rangement. J’avais aussi réalisé le soutien-U et son tutoriel dans ce cadre en dilettante.

En février dernier, le problème de la place ne se posait plus. J’envisageais depuis l’année précédente (et mon voyage en Suède) de copier un sac suédois à la mode, le Kanken, de Fjällräven. J’avais repéré que sa forme de brique impliquait des pièces rectangulaires, faciles à mesurer et couper. Un tutoriel en allemand m’a permis de connaître les dimensions et de comprendre l’ordre d’assemblage, et une vieille housse de futon m’a donné la toile extérieure. Le plus complexe a été la pose des fermetures éclair, mais ça n’a pas été aussi difficile que je ne le pensais—il suffit de faire attention.

Le sac fini, je pensais ranger ma machine à coudre pour, je sais pas… l’an prochain ? D’ailleurs je me disais (je me dis toujours) que je m’inscrirais volontiers à un cours de céramique… mais pour ça j’aurais besoin d’une blouse, genre veste de peintre ou autre. Je ne voulais pas acheter un bleu de travail (so 2022), donc j’ai demandé à ma mère si elle pouvait me conseiller un patron de veste. Par chance elle en avait un, me l’a expédié, et j’ai découvert Merchant & Mills. Pour faire court, c’est des marchands de tissu basés en Angleterre, qui proposent non seulement de très belles étoffes en fibres naturelles mais aussi des patrons assez simples et très bien expliqués, inspirés de coupes anciennes, de workwear, etc. Allez y jeter un coup d’oeil, puis revenez dans 10 minutes pour la suite : les patrons Merchant & Mills.

La frénésie

Pour le patron de la veste Foreman, je voulais un tissu adapté, je suis donc allé chez le seul revendeur Merchant & Mills à Paris, dans le quinzième, à l’Atelier Léonie. Là j’ai acheté un denim bien trop joli, et j’ai taillé/cousu ma veste.
J’ai mentionné que le denim était vachement beau ? Pas adapté pour une veste à tout faire… mais une preuve que je peux m’attaquer à des vêtements, et plus seulement à des coussins et trucs utilitaires.

À ce moment-là, pour des raisons, mon docteur m’a arrêté, avec possibilité de sortir de chez moi. J’allais avoir plein de temps libre dans les semaines suivantes.

Donc j’ai commandé plus de patrons et plus de tissus, j’ai utilisé des chèques cadeaux de Noël pour acheter de nouveaux livres de couture, je suis allé explorer des merceries, j’ai tracé/coupé/cousu des chemises, un pantalon, etc.

J’ai essayé d’éviter le genre de frénésie auxquelles je prends parfois part quand je me consacre à un nouveau projet. Habituellement quand ça me prend, j’y plonge pendant quelques jours/semaines, je suis très productif et créatif, je laisse de côté tout ce qui n’est pas ce projet (pas idéal lorsque je vivais en couple)… et ensuite je redescends parfois brutalement, avec une perte d’intérêt subite voire un rejet de toute nouvelle tâche sur le projet (pas optimal pour les projets sur lesquels je sais que j’aurai de la maintenance, etc.)

J’ai envisagé cette période comme un moment privilégié où je pourrais consacrer le temps que je voulais (dans la limite des préconisations de mon docteur) à l’apprentissage de techniques de plus en plus complexes. C’était important pour moi de me ménager tant au niveau de l’effort (je n’ai pas travaillé en continu) qu’au niveau de mes connaissances et de mon amour-propre : sachant mes limites, et le rythme auquel je les repoussais, j’ai gardé les pièces les plus compliquées pour la fin. J’ai commencé par une chemise Merchant & Mills qui m’a appris que sans bonne table à repasser on ne peut rien faire de bien en couture. Les chemises suivantes, c’est chez Toshio Kaneko que je les ai prises. Manches longues, beaux tissus et premières belles erreurs (que j’ai pu corriger, à vous de les deviner). J’ai abandonné l’idée de me faire un tablier pour la céramique, à ce moment-là ça devenait clair que je n’allais pas m’inscrire au cours dans les prochains mois. Avec le tissu j’ai plutôt fait un pantalon décontracté. Puis les salopettes.
D’abord j’en ai fait une pour me prouver que je pouvais le faire, puis une autre quand j’ai trouvé un autre tissu qui me plaisait. Pourquoi une salopette ? Et pourquoi pas ? J’en avais pas porté depuis trente ans et j’étais curieux de voir ce que ça donnait, et ça me permettait d’avoir des pantalons (la pratique de vélo use les jeans très rapidement) sans avoir à me faire de jeans (j’avais pas envie de m’attaquer aux braguettes).

La diversité des sources des patrons m’a permis de confronter des variantes dans la construction de pièces comparables, et ça m’a aussi montré des approches diverses dans la documentation de montage. J’ai fait des vêtements avec trois sources :

  • Merchant & Mills, la veste Foreman et la chemise All State.
    Les modèles sont simples et sans raffinement, chaque étape est renseignée par une illustration, j’ai apprécié l’aide à la découpe selon la largeur du pan de tissu utilisé. La documentation a parfois des petites erreurs, c’est dommage.
    J’ai envie de faire la parka Landgate, le pantalon Elling et la surchemise Arbor.
  • Toshio Kaneko, Dressing Sur Mesure pour Hommes (aux éditions de Saxe). J’ai fait la chemise à col droit, la chemise à col Hampton et la chemise à col ouvert, mais aussi le pantalon décontracté et le bermuda.
    Des jolis modèles minimalistes et bien taillés, très bien expliqués par des photos et des dessins pour chaque étape. Le livre détaille comment ajuster les patrons sur mesure. Plusieurs modèles peuvent partager certaines pièces (par exemple le bermuda et le pantalon décontracté), ce qui permet d’aller plus vite. Un truc nul : les marges de couture ne sont pas comptées dans les patrons.
    J’ai envie de faire le pantalon de travail et l’anorak.
  • Sophie Valantoine & 1083, L’Atelier du Denim. J’ai réalisé la Salopette 571 (deux fois).
    C’est le livre avec les techniques les plus avancées, les modèles qui ont le plus de détails et la doc la plus poussée. Les photos et les explications accompagnent bien la réalisation, mais il faut se fier à leurs estimations de difficulté. Il y a même des modèles d’étude à réaliser, comme la poche passepoilée, pour mieux comprendre la technique avant de coudre les vêtements. Là aussi il y a des indications pour ajuster les vêtements à ses mensurations.
    J’ai envie de réaliser la veste droite 702, la surremise 721 et pourquoi pas la veste blousonnée 681.

Après

Qu’est-ce que je retire de cette expérience ?

Tout d’abord, la confiance dans le fait que je peux m’abstraire du monde du prêt-à-porter, moyennant le temps de réalisation et le coût des fournitures.

La confection de vêtements est une des industries les plus polluantes en matière d’émissions de CO₂ ou de rejets de microplastiques dans les cours d’eau ; socialement c’est atroce pour les ouvrières dans les pays pauvres (aux premières loges pour les matériaux dangereux pour la santé, avec des conditions de travail atroces pour un salaire de misère)… bref, c’est pas bien beau. Et je suis content de pouvoir m’en abstraire, en choisissant des matières premières de qualité provenant de sources éthiques, et en prenant sur moi le labeur de la réalisation. Évidemment, c’est pas ça qui va changer l’industrie même si on est des centaines à s’y mettre, mais je peux dormir en sachant que je porte des vêtements qui n’auront pas été faits dans des conditions de quasi-esclavage à partir de pétrole.

La couture est une activité intellectuelle en plus d’être manuelle. “Olala, Joachim découvre que les métiers manuels peuvent aussi demander de l’expertise et de l’effort intellectuel, la honte !”, non, évidemment. Je mentionne ça parce que l’effort intellectuel allié à la pratique manuelle m’ont aidés, de manière presque thérapeutique (si ça ne m’avait pas forcément fait de bien directement ça a évité que je me fasse du mal autrement). Il y a plein de manière de mettre sa tête dans un bocal pour s’extraire d’une réalité aliénante, et le travail manuel (avec la promenade ou l’effort physique intense) est moins néfaste que l’alcool ou l’écoute de Michel Sardou.

Je n’ai plus de cintres.
Ça c’est l’effet rebond. Donne une chemise à un homme et il n’aura plus froid qu’aux fesses, apprends à un homme à coudre et il n’aura plus froid du tout ; en revanche il remplira sa garde-robe de trucs qui lui plaisent.
La fin de cette période de frénésie semi-contrôlée arrive à point pour que je réfléchisse à ce que je veux avoir dans mes armoires. Je n’envisage pas de jeter mes vêtements, surtout ceux qui sont encore en bon état… mais je pourrai commencer à trier en vue de revente ou don.

Photos

photo d’une main qui tient un sac jaune à bretelles oranges et écusson de lapin.
selfie d’un homme qui porte une veste en denim bleu
un chat mignon dort confortablement sur une pièce d’étoffe denim bleue
photo d’ambiance avec du matériel de couture
Selfie d’un homme avec une chemise fantaisie verte à motifs de feuilles rouille.
Selfie d’un homme qui montre le détail de la manche d’une chemise vert olive à motifs blancs et noirs
Une pièce d'étoffe sur le sol, avec des morceaux de patrons disposées en vue d’être découpées
selfie d’un homme en chemise élégante rouge
un homme debout, il porte un bermuda orange
photo d’ambiance, un tissu à motif de feuilles d’automne, du denim bleu clair, et des fils à coudre de diverses teintes de bleu
selfie d’un homme qui porte une salopette couleur brique et une belle chemise bleue pétrole à motif de feuilles d'automne oranges et roses
photo d’un homme dans un miroir, on voit le dos de sa salopette bleue clair en jeans


On en discute ?…


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