Je ne prends plus l’avion (et vous devriez envisager de faire pareil)
Le mois dernier, je suis allĂ© Ă une rĂ©union de famille. Jây ai vu des cousins que je nâavais pas croisĂ©s depuis dix ans, et jâen ai mĂȘme rencontrĂ© que je nâavais vu quâune fois ou deux en vrai⊠Ce genre de situation est toujours curieuse, mais là ça lâĂ©tait pour une raison particuliĂšre : tous les membres de ma famille, mĂȘme les plus Ă©loignĂ©s, savaient une chose Ă mon propos, mĂȘme si je ne savais pas grand chose dâeux. Je suis le cousin qui a voyagĂ© pendant un an autour du monde, et donc ils savent qui je suis.
Et donc jâai dĂ» parler de mon voyage : la durĂ©e, le trajet, mon pays prĂ©fĂ©ré⊠faut pas le leur dire, mais jâai des rĂ©ponses toutes faites depuis tout ce temps quâon me pose les mĂȘmes questions, quand on me les pose je me mets un peu en pilote automatique pour tout raconter.
Mais il y a une question sur laquelle jâai beaucoup Ă©voluĂ© depuis mon retour.
Quâest-ce que tu nâas pas aimĂ© et que tu aurais changĂ© si tu avais pu ?
Ă cette question-lĂ , il y a dix ans, jâaurais rĂ©pondu Rien, câĂ©tait trĂšs bien.
Maintenant, câest plutĂŽt Jâaurais pas pris lâavion.
Parce que voilĂ , lâavion ça pollue. Câest peut-ĂȘtre pas ce qui pollue le plus au monde, mais câest un des pollueurs les plus emblĂ©matiques de lâĂ©poque actuelle, et lâusage de lâavion va croissant.
Pourquoi se passer dâavion
Je ne sais pas sâil y a besoin de rappeler quâun trajet en avion pollue des dizaines de fois plus quâun trajet en train ou que les avions Ă©mettent autant de gaz Ă effet de serre que plusieurs pays dâEurope rĂ©unis. En Europe, pour la premiĂšre fois, le 10e plus gros Ă©metteur de CO2 câest la compagnie aĂ©rienne low-cost RyanAir, Ă la fin dâune liste dominĂ©e par les centrales Ă charbon1. Lâavion nâest plus une pollution anodine.
Cet article de Pascale KrĂ©mer pour Le Monde, Lâavion, plaisir coupable de lâĂ©colo voyageur2), Ă©claire trĂšs bien le dilemme des gens qui ont conscience des enjeux environnementaux, mais qui veulent quand mĂȘme leurs vacances Ă Bangkok ou leur week-end Ă Porto. Je ne suis pas convaincu des conseils donnĂ©s Ă la fin pour rĂ©duire son empreinte ; certains sont particuliĂšrement peu pertinents : Rester le plus longtemps possible pour amortir le coĂ»t carbone du vol par exemple, les gaz Ă effet de serre sont libĂ©rĂ©s dans lâatmosphĂšre quelle que soit la durĂ©e de ton voyage. Mais le sujet est lĂ : on ne peut pas se prĂ©occuper de lâenvironnement et avoir lâesprit tranquille quand on prend lâavion, surtout pour les loisirs.
La dĂ©mocratisation de lâavion et lâessor du tourisme, comme toute industrie, nâont pu se produire quâau dĂ©triment de lâenvironnement. Câest mĂȘme ironique : un des attraits du tourisme câest de dĂ©couvrir la nature, mais notre action contribue Ă la destruction de cette nature. Chaque vol qui dĂ©colle, câest du CO2 en plus, un dĂ©rĂšglement un peu plus accentuĂ©, et donc une qualitĂ© de vie un peu moins Ă©levĂ©e pour les gens qui vont nous succĂ©der sur cette planĂšte. Prendre lâavion, câest voler aux gĂ©nĂ©rations futures.
Notre responsabilité face aux générations futures
Tout un champ de pensĂ©e Ă©merge quant Ă lâĂ©thique des pratiques polluantes : de plus en plus de gens considĂšrent que faire perdurer des pratiques polluantes devient aussi grave que nier leurs effets sur le rĂ©chauffement climatique, et que le dĂ©ni climatique devrait ĂȘtre considĂ©rĂ© comme crime contre lâhumanitĂ©. Lâindustrie pĂ©troliĂšre par exemple, qui connaissait dĂšs les annĂ©es 70 lâexistence du rĂ©chauffement climatique3, et qui a pourtant fait du lobbying pour des aides publiques, le dĂ©veloppement de lâautomobile et de lâaĂ©rien (dont les carburants de ce dernier ne sont pas taxĂ©s), a une part considĂ©rable de responsabilitĂ© dans les maux causĂ©s Ă des millions de personnes4. Les multinationales et les gouvernements doivent ĂȘtre tenus pour responsables de cette grande braderie du futur de lâhumanitĂ©.
Mais moi qui prĂŽne ici ou ailleurs la responsabilisation des systĂšmes qui nous gouvernent â ou surtout le dĂ©mantĂšlement des systĂšmes les plus dangereux pour lâenvironnement, comme le capitalisme libĂ©ral, lâimpĂ©rialisme Ă©conomique ou le culte de la croissance (en nâoubliant pas les biais extractivistes du capitalisme dâĂ©tat quâon fait passer pour du communisme), comment rester digne et fidĂšle Ă moi-mĂȘme si je continue Ă avoir des comportements polluants ? Lâaction personnelle est indissociable de lâaction globale. Il faut ralentir drastiquement et durablement lâindustrie aĂ©ronautique, et ça passera en partie par une diminution du nombre de gens qui accepteront de se rendre complices de la pollution engendrĂ©e par cette industrie. Cette diminution de la quantitĂ© de voyageurs pourra ĂȘtre orchestrĂ©e par une plus grande taxation des transports aĂ©riens, en commençant par le carburant, qui nâest pas assez taxĂ©. Les bĂ©nĂ©fices tirĂ©s de ces taxes pourront ĂȘtre rĂ©injectĂ©s dans le train, pour que le mode le plus polluant soit plus cher que le mode le moins polluant, et quâon puisse voir un report de passagers dâun mode Ă lâautre.
Nos rĂ©ticences Ă se passer de lâavion
Jâai eu des discussions sur le sujet, oĂč il mâa Ă©tĂ© expliquĂ© que faire le choix de ne pas voler Ă©tait un privilĂšge. « Il faut avoir des vacances plus longues pour pouvoir prendre le train. » Soit. Traverser lâEurope ça prend du temps en train, et il nây a pas de terminal TGV Ă Bali, câest ballot. Mais quâon soit bien clairs : faire le choix de voler est un privilĂšge, surtout dans le cadre des loisirs. Ătre dans une position oĂč on peut envisager dâaller Ă Belgrade ou Ă Riga Ă lâoccasion dâun jour fĂ©riĂ©, câest un privilĂšge.
Il peut ĂȘtre difficile de prendre conscience de cette dimension lorsquâune carriĂšre ou une vie de famille dĂ©pend de la mobilitĂ© apportĂ©e par lâavion. Devoir traverser la France deux fois par semaine pour des rĂ©unions de travail, par exemple, ça peut paraĂźtre comme une compromission acceptable au sein dâune vie peu polluante ; de mĂȘme quâavoir une famille sur plusieurs continents peut ĂȘtre difficile Ă vivre sans la possibilitĂ© de se rĂ©unir facilement en personne. Il est Ă©vident que ces situations ne vont pas conduire Ă des choix faciles : lâenvironnement ne pĂšse souvent pas trĂšs lourd face Ă un salaire ou nos relations avec nos proches.
Si lâargument Ă©conomique de la protection de lâenvironnement peut paraitre logique (plus on protĂšge le climat, moins on aura de dĂ©rĂšglements et de catastrophes, et donc on pourra garder un peu de stabilitĂ©)5, il nâest pas intĂ©grĂ© dans les logiques dâentreprises6. Les voyages et dĂ©placements professionnels en avion ne sont pas remis en question, le plus rapidement possible pour ne pas faire perdre dâargent Ă lâentreprise â mĂȘme si au final lâimpact financier des dĂ©rĂšglements climatiques et de la pollution seront portĂ©s par lâensemble de la sociĂ©tĂ©. Et ça nâest malheureusement pas facile de faire valoir ces arguments auprĂšs des chefs et des comptables des grands groupes⊠alors on accepte des postes oĂč on sait quâon devra faire des aller-retours en avion Ă lâautre bout du pays. Refuser le poste câest un choix que beaucoup ne peuvent pas faire, et imposer un nombre de kilomĂštres limitĂ© dans lâannĂ©e nâest pas forcĂ©ment envisageable dans les logiques dâentreprises. Tout ça au final pour assister Ă des rĂ©unions qui auraient pu ĂȘtre des emails. Bref, câest toute la culture des entreprises qui doit ĂȘtre changĂ©e (ça peut ĂȘtre fait Ă coup de rĂ©gulations) et on doit aussi faire Ă©voluer notre rapport au travail, afin que les entreprises ne puissent plus nous imposer des comportements contraires aux intĂ©rĂȘts de la planĂšte.
Lâargument qui fait de la famille une cause de dĂ©pendance Ă lâavion est plus dur Ă mettre Ă plat. Autant les nĆuds Ă©conomiques peuvent ĂȘtre dĂ©nouĂ©s en changeant de systĂšme de valeur, autant on ne peut pas appliquer le mĂȘme coup dâĂ©pĂ©e au nĆud gordien des relations familiales et interpersonnelles. La famille, câest important. Câest la structure de sociĂ©tĂ© la plus basique et câest un lien avec le futur. Le problĂšme, câest que le futur, et notre sociĂ©tĂ©, sont mis directement en danger par les changements climatiques. La sagesse populaire dit quâun tiens vaut deux tu lâauras, donc on prĂ©fĂšre faire attention Ă ce qui existe, plutĂŽt quâĂ ce qui pourrait exister. DâoĂč le manque de rĂ©alisation que ce quâon fait Ă lâenvironnement aujourdâhui va empirer la vie de nos enfants et petits-enfants demain. Et encore, je dis ça, mais les effets des changements climatiques se font dĂ©jĂ sentir partout autour du monde. Donc le choix qui se fait maintenant, câest ĂȘtre un bon descendant en allant voir ses parents et grand-parents en avion, ou ĂȘtre un bon ancĂȘtre en nâutilisant plus lâavion et en agissant pour que ses enfants et petits-enfants nâaient pas Ă vivre plus de catastrophes que ce qui se produit dĂ©jĂ .
Personnellement, mon travail ne mâoblige pas Ă prendre lâavion, et jâhabite dans le mĂȘme pays que mes parents, donc ces questions difficiles ne se posent pas, ce sont des choix auxquels je ne suis pas confrontĂ©. Je laisserai donc chacune et chacun se faire son avis, sur ce qui est acceptable, Ă©thique ou important.
ArrĂȘter lâavion impacte moins nos vies que changer dâautres habitudes
Je parle dans cet article de lâindustrie aĂ©ronautique (et par extension de lâindustrie touristique), parce que câest un des leviers les plus faciles pour diminuer son impact environnemental7. DĂ©jĂ , voler nâest pas accessible Ă toutes les bourses, câest un luxe. Se priver dâautres produits, pratiques ou services polluants pour des raisons monĂ©taires (vĂȘtements pas chersâŠ) est plus difficile, et selon les cas quasiment impossible, que de choisir les Deux-SĂšvres plutĂŽt que Tokyo pour les vacances.
En plus de ça, voler nâest pas une habitude aussi forte que nos autres pratiques polluantes (viande tous les jours) ; se sĂ©parer dâune habitude prend de la motivation et du temps. Se sĂ©parer de lâhabitude de voler prend moins dâeffort et a un impact significatif sur notre impact Ă©nergĂ©tique (un vol transatlantique aller-retour dĂ©pense autant de CO2 quâune annĂ©e de consommation quotidienne de viande).
Et finalement, ça ne remet pas en question toutes nos habitudes, juste celles qui touchent Ă un domaine prĂ©cis : les vacances, les loisirs ; il nây a pas dâeffet domino, comme par exemple avec la voiture, dont la remise en question va toucher Ă des questions de lieu de travail et dâopportunitĂ©s de carriĂšre, de lieu de vie et dâĂ©talement urbain, de proximitĂ© des services publics, etc.
Pour moi, lâarrĂȘt de lâavion nâa pas posĂ© trop de problĂšme. Jâai acceptĂ© que je nâirai sans doute jamais en Inde ou en Australie. Câest pas non plus un gros sacrifice, Ă©tant donnĂ© que je nâavais pas prĂ©vu de le faire. Jâai comptabilisĂ© mes vols de ces dix derniĂšres annĂ©es (environ 50 000 km), calculĂ© le carbone lĂąchĂ© dans lâatmosphĂšre (entre 12 et 17 tonnes selon les estimations), puis jâai utilisĂ© lâoutil de trees.org pour compenser ces dĂ©penses. Ăa fait des annĂ©es que je donne Ă Trees.org, je leur fais confiance. Un de ces jours il faudrait que je recherche un peu mieux sur les options pour compenser son carbone. Mais la meilleure mĂ©thode, câest encore de ne pas Ă©mettre de CO2 dans lâatmosphĂšre.
DorĂ©navant, mes voyages ne se feront quâen transports terrestres8. Le truc gĂ©nial, câest que jâhabite en Europe, et que des centaines de destinations incroyables sont accessibles en train, bus ou vĂ©lo. Il faudrait juste que les compagnies ferroviaires arrĂȘtent de fermer des lignes locales, et augmentent le nombre de trains de nuit. En tous cas, je suis certain de ne pas mâennuyer.
Mais je fais dâautres choses tous les jours pour lâenvironnement, donc jâai le droit de prendre lâavion pour mes vacances
Non, ça nâest pas une bonne raison.
DĂ©cider de ne plus prendre lâavion est un premier pas, et câest un pas nĂ©cessaire pour qui veut rĂ©duire son impact environnemental, et donc sa part de responsabilitĂ© dans la destruction de nos milieux de vie. Ne pas considĂ©rer sĂ©rieusement ce choix est une faute morale, et un acte de dĂ©ni climatique.
Merci aux relecteurs et relectrices, et toutes les personnes qui mâont fait part de leurs remarques et ont fait avancer ma rĂ©flexion sur le sujet.
- https://www.bloomberg.com/news/articles/2019-04-01/ryanair-is-first-airline-to-become-a-top-10-polluter-in-europe ↩︎
- https://old.reddit.com/r/france/comments/attf83/lavion_plaisir_coupable_de_l%C3%A9colo_voyageur/eh3fi7n/ ↩︎
- Voir https://www.theguardian.com/environment/2017/feb/28/shell-knew-oil-giants-1991-film-warned-climate-change-danger, https://exxonknew.org/ ou http://www.climatefiles.com/ pour plus dâinfos sur ce quâExxon savait. ↩︎
- Parmi ces maux on peut retenir : les Ă©vĂ©nements climatiques « inhabituels » qui deviennent notre quotidien (cyclones catastrophiques dans les CaraĂŻbes, au Mozambique ou aux Philippines), tempĂȘtes et vagues de froid qui sacrifient les rĂ©coltes, feux de forĂȘts dans le sud de lâEurope, en Californie ou en AustralieâŠ), la montĂ©e des eaux (Miami en fait les frais, mais le Bangladesh aussi), les maladies liĂ©es Ă la dĂ©gradation de lâair (asthme et allergies chez les jeunes enfants, cancers, âŠ), cette liste nâen finit pas. ↩︎
- https://news.nationalgeographic.com/2017/09/climate-change-costs-us-economy-billions-report/ ↩︎
- La logique capitaliste est derriĂšre ces logiques dâentreprises, ce qui veut dire que les entreprises ne changeront de comportement que si le capitalisme est rĂ©formĂ©, et quâon lui retire tout ce qui le rend si dangereux (notamment la capacitĂ© Ă endommager un environnement pour en extraire des matiĂšres premiĂšres, sans avoir Ă payer les rĂ©parations) ↩︎
- Ăvidemment, la SNCF rend le tout beaucoup plus difficile en proposant des billets de train trois fois plus chers que les trajets Ă©quivalents en avion, en supprimant les petites lignes de desserte locale (qui est un des avantages Ă©normes du train), ou en supprimant les trains de nuit (qui permettent de mitiger le dĂ©sagrĂ©ment dâun temps de trajet plus long). ↩︎
- les voiliers aussi ça me dirait, mais ça prend du temps ↩︎
On en discute ?âŠ
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